dimanche 27 janvier 2008

Demain l'hiver...

Après cinq années passées sous les tropiques sans connaître les rigueurs du froid -autres que les conditions climatiques déplorables qui ont affligé la France ces deux derniers étés- le retour sur le sol natal en plein mois de décembre était appréhendé. A juste titre. Sans le concours calorique des civets et autres gigots (paix à leur âme), aurais-je survécu? Aurais-je tenu le coup sans les monceaux de victuailles et les sempiternels repas qui commencent à 11h pour finir six à sept heures plus tard avec cette phrase assassine: "On fera léger pour ce soir, juste un peu de charcuterie et de fromage." Aurait-il été possible de résister sans l'apéro maison, l'apéro de l'oncle, "ce-petit-truc-à-vous-faire-goûter", les bulles, les blancs sur rouges et même les rouges sur blancs, les trous normands, les digestifs à répétition qui épuisent le verger hivernal du grand-père et les gouttes qui font déborder la tasse à café de ceux qui n'en boivent pas... ou alors juste un fond.
Dès la sortie de l'avion, à 6h du matin par un -7° de rigueur, toutes les extrémités sont saisies d'effroi. Le nez, les oreilles et les orteils se souviennent qu'ils existent avec une conscience douloureuse de leur vulnérabilité. Les sensations deviennent aigües et acérées, les sens se développent... Chaque pore de ma peau est aux aguets, chaque son est démultiplié et décuplé dans mon cerveau, les nerfs se solidifient et entrent en compétition avec les muscles: je commence à trembler. Les heures de léthargie dans l'avion s'évanouissent soudainement pour laisser place à la réalité. Je regarde derrière moi avec envie, le cocon de la carlingue, douillet malgré la climatisation. Le froid distribué par les machines n'a rien à voir avec ce froid-là, naturel, qui enveloppe et transperce jusqu'au tréfonds ses victimes. Le constat est limpide: que fais-je ici?
L'hiver, c'est une panoplie d'impressions nouvelles. Un canal gelé et des pierres qu'on lance sur la glace pour s'étonner de son épaisseur. De la fumée de dragon qu'on exhale, ectoplasme frigorifié, en de longues trainées blanches. Les lunettes embuées qu'on se refuse à enlever avec fatalisme quand on rentre dans la chaude maisonnée et qui diffractent les lumières colorées du sapin de Noël. Les vêtements posés sur le radiateur, qu'on enfile avec un sourire béat. Le vin chaud à la cannelle qu'on boit, les jours du marché, les deux mains autour du gobelet en plastique en écoutant les éternelles plaintes du commerçant. L'herbe qui crisse gravement sous les chaussures. Les dégradés d'acier bleuté et de cendres blanchies qui ternissent le ciel des aquarelles de Turner. Les orteils qu'on retire des chaussettes, en les observant avec circonspection pour savoir s'ils sont toujours attachés au corps. Les dessins qu'on laisse en cachette sur les vitres et les miroirs grisés de condensation. Les draps froids et la couette épaisse, ultimes réconforts pour s'assurer qu'on est encore vivant, lorsque le corps les réchauffe et tisse un cocon pour la digestion. Le regard implorant qu'on lance sur le réveil, quelques heures plus tard, alors qu'il faut sortir le bras de ladite couette pour l'éteindre. Et la nuit, presque toujours la nuit, avec parfois ces nuances de gris qu'on appelle journée hivernale.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

mmmmhhh c'est bon la treve de Noel.
merci pour cette belle note.