Dès la sortie de l'avion, à 6h du matin par un -7° de rigueur, toutes les extrémités sont saisies d'effroi. Le nez, les oreilles et les orteils se souviennent qu'ils existent avec une conscience douloureuse de leur vulnérabilité. Les sensations deviennent aigües et acérées, les sens se développent... Chaque pore de ma peau est aux aguets, chaque son est démultiplié et décuplé dans mon cerveau, les nerfs se solidifient et entrent en compétition avec les muscles: je commence à trembler. Les heures de léthargie dans l'avion s'évanouissent soudainement pour laisser place à la réalité. Je regarde derrière moi avec envie, le cocon de la carlingue, douillet malgré la climatisation. Le froid distribué par les machines n'a rien à voir avec ce froid-là, naturel, qui enveloppe et transperce jusqu'au tréfonds ses victimes. Le constat est limpide: que fais-je ici?
L'hiver, c'est une panoplie d'impressions nouvelles. Un canal gelé et des pierres qu'on lance sur la glace pour s'étonner de son épaisseur. De la fumée de dragon qu'on exhale, ectoplasme frigorifié, en de longues trainées blanches. Les lunettes embuées qu'on se refuse à enlever avec fatalisme quand on rentre dans la chaude maisonnée et qui diffractent les lumières colorées du sapin de Noël. Les vêtements posés sur le radiateur, qu'on enfile avec un sourire béat. Le vin chaud à la cannelle qu'on boit, les jours du marché, les deux mains autour du gobelet en plastique en écoutant les éternelles plaintes du commerçant. L'herbe qui crisse gravement sous les chaussures. Les dégradés d'acier bleuté et de cendres blanchies qui ternissent le ciel des aquarelles de Turner. Les orteils qu'on retire des chaussettes, en les observant avec circonspection pour savoir s'ils sont toujours attachés au corps. Les dessins qu'on laisse en cachette sur les vitres et les miroirs grisés de condensation. Les draps froids et la couette épaisse, ultimes réconforts pour s'assurer qu'on est encore vivant, lorsque le corps les réchauffe et tisse un cocon pour la digestion. Le regard implorant qu'on lance sur le réveil, quelques heures plus tard, alors qu'il faut sortir le bras de ladite couette pour l'éteindre. Et la nuit, presque toujours la nuit, avec parfois ces nuances de gris qu'on appelle journée hivernale.
1 commentaire:
mmmmhhh c'est bon la treve de Noel.
merci pour cette belle note.
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