lundi 1 décembre 2008

L'attaque des brigades vermeil

Le train Cholet-Nantes de 7h39 est peuplé d’habitués qui partent travailler. Ils se saluent tous les jours, sans vraiment se connaître ; ils partagent les mêmes élans assoupis dans les transports, sans même savoir le nom de leur voisin. Chacun est embrumé de sommeil et profite des saccades de la locomotive pour se bercer encore et prolonger une nuit trop courte. Cet été, j’ai rejoint cette communauté de migrateurs pendulaires, le temps d’arpenter les archives diplomatiques de Nantes. Des allers-retours sans histoires, jusqu’à la tragédie d’un petit matin apparemment comme les autres.

La Bruffière est un village dont le nom ne fleure guère la poésie mais ses coteaux alentour sont fort jolis, à l’instar de sa petite gare pittoresque. C’est là que nous attend la source du drame. Le cauchemar incarné s’est posté au milieu de nulle part, pour mieux surprendre les paisibles voyageurs. Lorsque le train, composé de deux wagons, s’arrête au milieu des bucoliques maisonnettes de campagne, personne ne se doute encore du malicieux complot vermeil. Et soudain…

Un bataillon de petites vieilles en goguette entre dans le wagon. Le volume sonore bondit d’un seul coup. Les six septuagénaires s’installent à grand bruit. Toutes équipées de cabas renforcés, elles portent leurs premiers coups aux passagers qui ont le malheur de laisser dépasser une tête, un bras ou un pied. Les unes en face des autres, elles prennent position au milieu de notre wagon. Elles bloquent ainsi, dans une habile manœuvre, un pauvre homme qui essaye de faire corps avec la fenêtre. Les passagers échangent des regards ou l’amusement se mêle à l’inquiétude.

Au bout de cinq minutes, tout le wagon est au courant de leurs 450 années d’expériences cumulées. La piètre qualité du pain à la boulangerie du bourg, le programme de TéléMatin qu’elles ratent en ce moment même, les diarrhées de leurs vieillards de maris (certaines parlent du conjoint au présent, les autres l’évoquent au passé), les dernières nouvelles du petit voisin qui a mauvais genre et Thérèse, ah… Thérèse… qui ne passera sûrement pas l’été vu qu’hier encore elle rendait tout ce qu’elle mangeait.

La plupart de ces ancêtres sont sourdes et braillent leurs répliques. Les autres, dont l’appareillage auditif fonctionne, hurlent pour couvrir le bruit des copines ou pour se faire comprendre d’elles. Il faut leur reconnaître une capacité étonnante à s’enflammer sur une conversation à deux au sujet des bégonias et à suivre en même temps le sujet «cancer» des deux voisines ainsi que la séquence «retraites qui baissent» des deux autres. Et ces dames d’intervenir à tout bout de champ et de reprendre le fil de leur conversation «nécrologie» sans en perdre le fil.

Deux personnes quittent le wagon, le regard halluciné. C’est une première victoire des brigades vermeil. L'une d'entre elles regarde passer les victimes par dessus ses lunettes, les détaillant des pieds à la tête. Il y aurait peut-être un sujet de conversation à rogner. Les habitués se regardent maintenant avec consternation; la berceuse du train vire au cauchemar. Un ou deux tordent le cou pour jeter un œil sur le pauvre homme, prisonnier de deux des mégères. Il est obnubilé par le paysage les bras crispés sur les accoudoirs. Nous imaginons tous ce qu’il redoute : être pris à parti au détour d’une conversation, être obligé de parler et de briser sa silencieuse quiétude matinale, déjà mise à mal par le brouhaha gériatrique.

La gare de Clisson… horreur, il reste encore vingt minutes de trajet. Mon voisin se penche vers moi avec un air de comploteur et soupire : «Moi, je travaille dans les retraites complémentaires… Je me demande si je ne devrais pas changer de métier quand je vois ce que ça donne de les entretenir». Jamais Nantes n’a paru si éloigné.

Et lorsque nous entrons dans les faubourgs de la ville, elles redoublent d’activité sonore en repassant le programme de leur journée et en préparant leurs immenses sacs à main. L’une a perdu son ticket, l’autre cherche son plan, trois autres racontent les dernières anecdotes qu’elles ont vécues, chez le boucher, chez la belle-fille ou chez la marchande de journaux… La sixième a oublié ce qu’elle voulait dire. Elles se lèvent déjà, se préparent à sortir du train au cas où, à son terminus, il repartirait immédiatement sans elles. Elles sont pressées.

Quand elles se désincarcèrent de leurs fauteuils à grand renfort de plaintes sur les rhumatismes, elles viennent se positionner devant la porte vitrée, une devant chaque rangée de sièges et continuent leurs conversations dans une complexe combinaison d’imbrications : la première avec la cinquième, la sixième avec la troisième et la deuxième avec la quatrième. Du coup, elles poussent un peu plus le volume.

Descendre les deux marches de l’entrée du TER et la marche vers le quai est une grande aventure commune. Alors qu’elles gambadent dans leurs jardins et se vantent de leurs balades à vélo, ces trois degrés à franchir en public deviennent une occasion unique de rivaliser de jérémiades. Bon, j’avoue… l’espace d’un instant, j’ai pensé à Soleil vert, Logan’s run et quelques autres œuvres de science-fiction qui traitent radicalement les problèmes du 3e Age.

Le parc du Marquenterre

Moult fois lors de mes passages, j'ai brocardé la Picardie et ses habitants. La ville d'Amiens me terrifie toujours autant et l'impression d'être témoin de "La vie est un long fleuve tranquille" à Abbeville reste persistante. Toutefois, en fuyant la terrible engeance des chasseurs et en oubliant que la Picardie est la première région de France en terme de consultations dans les centres spécialisés en alcoologie (source: www.ofdt.fr), la côte picarde offre de charmants paysages au promeneur.
A ce titre, le parc du Marquenterre, qui constitue la partie terrestre de la réserve naturelle de la baie de Somme, est un bel exemple. Depuis 1973, ce parc ornithologique abrite de très nombreuses espèces (c'est arrêt majeur des migrateurs), dans des espaces naturels où les horizons peuvent s'élargir sans rencontrer l'activité humaine.